Nous étions nombreux au cimetière Montparnasse à rendre un dernier hommage à Alain Reinette, à entourer de notre amitié sa fille, son fils et sa petite-fille. C’est qu’Alain, dont il m’est si difficile de parler au passé, était un de ces citoyens qui ont marqué par son engagement la vie de notre arrondissement.
Nous l’avons enterré dans son caveau de famille au côté de Mélie, sa compagne tant aimée, décédée quelques mois avant. Ce merveilleux couple s’était formé autour d’une passion commune pour l’art. Mélie et Alain s’étaient rencontrés en 1968, dans une école de théâtre ; autant dire qu’ils étaient aussi unis par le signe de l’engagement qui a marqué une génération. S’ils ne purent vivre, ni l’une, ni l’autre, de cette première passion, ils restèrent, toute leur vie, profondément attachés à cette origine.
Fidèle aux idées sociales
La culture et l’engagement ont en effet irrigué toute la vie d’Alain Reinette. Autodidacte, Alain était un passionné de la lecture et de la connaissance. D’abord bibliothécaire d’un comité d’entreprise, il fut ensuite responsable des politiques culturelles et éducatives de celui-ci. Il en acquit une expérience considérable du travail collectif, de l’animation socio-culturelle, mais aussi il savait, ô combien, répondre aux exigences techniques d’une scène. Sa culture du monde artistique en fut approfondie aussi. Mon dernier souvenir d’Alain, c’était à l’Ehpad Alice Prin où il participait à un jeu : il y complétait brillamment les paroles des chansons de Brassens !
Ce travail s’accompagnait d’un engagement syndical et politique. Alain Reinette fut durant toute sa vie professionnelle un militant de la CGT et, pendant de très longues années, adhérent au Parti communiste français qu’il quitta sur la pointe des pieds. Sa fidélité aux idées sociales, il tint à la manifester jusqu’au bout de sa vie en adhérant aux Amies et Amis de la Commune de Paris 1871. Pendant des années, aussi, nous affichions tous deux, chaque année, les 21 octobre, de fausses plaques de rue au nom de Raymond Losserand !
Ses combats locaux
Né au cœur de Paris dans une famille populaire, Alain vint habiter dans le 14e arrondissement. Il obtint un logement à Plaisance, le long des voies de chemin de fer (les logements qui protégeaient les bourgeois de l’arrondissement du bruit et des fumées des trains, disait-il…). Tout le monde dans son HLM savait pouvoir compter sur Alain pour un coup de main !
Puis vint le temps de l’engagement local. Alain se mêla d’abord aux luttes urbaines ; en particulier il porta son premier intérêt au relogement des associations chassées de leur siège par la rénovation-destruction. Avec Mélie, qui en fut la première présidente, il participa à la fondation de l’association Florimont, en 1998, qui se fixa pour objectif de sauver le « Château ouvrier » menacé de destruction et d’y installer un lieu de vie des associations de l’arrondissement. La lutte, animée par Urbanisme et Démocratie, fut un succès. Alain succéda à Mélie à la présidence de Florimont. Ce fut pendant des années un animateur remarquable de ce lieu. Toutes et tous se souviennent de son dévouement pour trouver une solution à la multiplicité des problèmes rencontrés. Au-delà de l’organisation et de la gestion de cette maison commune, Alain tenait à en faire un lieu d’initiatives partagées. Il y eut ces temps forts autour de la Résistance, des journées ateliers d’artistes, des nuits blanches… Il participa aussi aux initiatives plus récentes, orientées vers l’écologie urbaine ou l’action sociale. On ne saurait rappeler tous les engagements d’Alain ; il donna aussi beaucoup à La Page, au conseil de quartier Pernety, à Migrants-Plaisance dont Mélie était un des piliers, etc.
Dans les dix dernières années de sa vie, c’est vers l’éducation populaire qu’il revint, en participant à la fondation en 2011 de l’Université populaire du 14e dont il fut pendant plus de dix ans coprésident. Il put là mettre en valeur toute son expérience passée. Il insistait toujours sur l’importance de la démocratisation de la culture (toute la culture, tant la culture populaire que la culture artistique, littéraire et universitaire) et de son lien avec l’engagement citoyen, c’était le sens profond, disait-il d’une Université populaire.
Alain n’était pas un saint ! Ses colères étaient redoutables ; il avait ses têtes, ses passions, ses combats. Il était exigeant, pour lui, pour ses proches et pour les autres. Il pouvait être sauvage, il fallait gagner sa confiance. L’homme était aussi d’une grande sensibilité. L’émotion pouvait le gagner et le fragiliser. Mais sa conscience le conduisait toujours sur le chemin de l’entraide, de la solidarité. Sa modestie était celle de ceux qui sont guidés par le sentiment de la fraternité et la passion de l’égalité.
Jean-Louis Robert